Modèle de Développement Intégré des Affaires Agricoles (Concept et stratégies de mise en œuvre)

Note technique à l’attention des Etats Africains

Abstract

The African continent is inhabited by around 1.2 billion people. The population will be of 2.1 billion with 50% of youth aging 15 years (2014). However Africa is still depending on importations of cereals. These reached in 2012 about 12 million tons.

In order to overcome this so called « tyranny of cereals » and at the same time create best conditions for the decrease of rice importations, an Integrated Development Business Model (IDBM) was developed. The model creates synergy between agro-business and smallholder farming systems with the objective to satisfy the needs in food security and also to generate value addition and employs for youth and women. It promotes the rice industry as a connection point of the rice value chain and support tool for an efficient use of smallholder farming.

Résumé

L’Afrique compte de nos jours 1,2 milliard de personnes. Cette population sera de 2,1 milliards en 2050 avec 50% de jeunes de moins de 15 ans (AFD, 2014). Or, l’Afrique est toujours très dépendante des importations de produits alimentaires qui s’élevaient en 2012 à 12 millions de tonnes.

Dans l’optique d’une part, de faire face à cette situation difficile dite de « tyrannie des céréales » et d’autre part, de créer de meilleures conditions de baisse des importations de riz, un business  model dénommé « Modèle de développement intégré des affaires agricoles – MDIAA » a été élaboré. Il met en synergie l’agro-business et l’agriculture familiale dans le souci de satisfaire les besoins de sécurité alimentaire des populations locales et de créer plus de valeur ajoutée et d’emplois pour les jeunes et les femmes en faisant la promotion de l’usine comme point structurant de la filière riz et support de valorisation efficiente de l’agriculture familiale.

Introduction

La forte pénétration des céréales importées s’est accélérée à la suite des sècheresses de 1968, 1973, 1974, 1984 et 1985 qui ont nécessité le recours à des importations commerciales et à l’aide alimentaire. Cette instabilité a été suivie de la libéralisation de l’agriculture des pays avec la disparition des sociétés nationales de développement, la libéralisation des échanges et l’intégration des marchés qui sont venues achever un système agricole déjà moribond. Les pays dépensent en moyenne 5 – 6 % de leur PIB (Produit intérieur brut) pour importer des denrées alimentaires avec des pics de 22 – 24 % du PIB en Sierra Leone et de 11 – 12 % en Somalie (Mboungou, 2011). L’Afrique de l’Ouest importe en moyenne 40% de ses besoins de consommation en riz. Le Libéria s’assure localement pour moitié de ses besoins de consommation, tandis que le Nigéria, en dépit des efforts pour assurer la relance de la riziculture locale, doit encore faire appel au marché international pour couvrir près d’un tiers de sa consommation ; soit en moyenne 2 millions de tonnes par an (R. Blein et BG, 2014).

Au regard de ces faits, un travail de fond nécessite d’être mené en appui au secteur agricole pour garantir la souveraineté alimentaire tant souhaitée. Il importe à ce propos de faire une relecture froide et raisonnée de l’agriculture des pays afin d’apporter des changements radicaux. Cela ne sera pas facile à faire quand on sait que tout  changement devra intégrer l’histoire des peuples et leurs traditions ainsi que leurs connaissances endogènes. Les modèles de développement anciennement utilisés serviront certes de référence mais ne seront pas à eux seuls suffisants pour assurer une augmentation durable de la production et une accumulation de richesses. Ils ont permis de faire la « Révolution verte » et de régler depuis 1965 le problème de la faim dans les pays asiatiques et dans une certaine mesure, dans les pays d’Amérique latine. Ils sont cependant vus de nos jours comme des solutions technologiques insuffisantes. Ils ont laissé en rade des millions d’agriculteurs qui ont été appauvris par la baisse des prix agricoles réels. Ces derniers ont en outre souffert des dégâts collatéraux comme les pollutions et la baisse des niveaux des nappes phréatiques, la salinisation des terres d’irrigation, la déforestation pour l’ouverture de périmètres irrigués, etc.

Certes l’Afrique devra faire sa révolution agricole mais celle-ci sera différente de la « Révolution verte » sur bien des points car devant apporter des réponses appropriées à de multiples contraintes d’ordre technique, biologique, chimique, économique, environnemental, culturel et sociologique. Le modèle dénommé « Modèle de développement intégré des affaires agricoles – MDIAA »  a été élaboré à ce propos.

Description du modèle et modalités de sa mise en œuvre

Le MDIAA a pour objectif principal de servir de modèle de développement agricole générateur de richesses, d’emplois rémunérateurs et de produits de qualité tant pour l’agriculture familiale que pour l’agro-industrie. Il vise à corriger les erreurs du passé qui privilégiaient les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, plus particulièrement de l’agriculture familiale, dans le seul but de renflouer les caisses des États africains en devises étrangères. Il favorise la gestion de la question agricole dans toute sa globalité, et non de manière partielle, comme cela a été le cas depuis les premières années d’indépendance. Il tient compte de certaines particularités de son environnement structurel, notamment :

  1. la prédominance de l’agriculture pluviale et de l’exploitation familiale ;
  2. la diversité des systèmes de production avec la pratique multiséculaire de la diversification et de l’association des cultures ;
  3. la fragilité des environnements politiques et réglementaires (périodes électorales à hauts risques, problèmes fonciers, problèmes de bonne gouvernance notamment, une absence d’indépendance de la magistrature et de l’administration, etc) ;
  4. la faible professionnalisation des acteurs de la filière (faible structuration de la filière, prolifération de groupements informels, etc).

Par rapport à ces nombreuses contraintes, le MDIAA prône la décentralisation totale de la gestion du secteur agricole et la responsabilisation des usiniers pour la mise en place de filières intégrées par zone-usine répondant à des objectifs de développement des pays. Il vise à corriger les erreurs du passé qui privilégiaient les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, plus particulièrement de l’agriculture familiale, dans le seul but de renflouer les caisses des États africains en devises étrangères. Il favorise la gestion de la question agricole dans toute sa globalité, et non de manière partielle, comme cela a été le cas depuis les premières années d’indépendance. Les différents programmes de développement ont toujours privilégié l’amélioration de la productivité à travers uniquement la fourniture de semences de variétés améliorées et la formation des acteurs. Par contre, les mesures d’accompagnement telles que la fertilisation des terres (sans laquelle, les variétés améliorées ne peuvent pas s’exprimer convenablement) et la mécanisation (destinée à améliorer significativement la productivité des variétés) n’ont jamais été assez bien prises en compte. Il en est de même de la transformation et de la commercialisation des produits vivriers, de l’installation d’infrastructures de stockage et de transport ainsi que du financement des opérations agricoles.

Le modèle vise plus particulièrement à établir des relations fonctionnelles entre les différents acteurs de la filière afin d’assurer un approvisionnement régulier du marché en riz de qualité tout en créant de la valeur ajoutée à travers une meilleure valorisation des produits et sous-produits du riz. A cet effet, le marché sert de point d’entrée et l’usine de point structurant jouant en même temps un rôle moteur en amont et en aval de la filière.

En amont, l’usinier élabore des contrats d’achat avec les producteurs de semences et de paddy permettant aux uns et aux autres d’une part, de choisir les variétés qui font l’objet de fortes demandes sur le marché et d’autre part, d’établir leurs budgets de culture sur des bases pertinentes. Ainsi, ils pourront connaître à l’avance (de préférence en début de campagne) les prix de revient de leurs produits et les bénéfices attendus.

L’établissement de contrats est fondamental car devant aboutir à une mise en relation des acteurs et leur sécurisation à travers des accords formels, l’accès aux intrants et équipements agricoles, aux crédits de campagne et d’investissements, etc. A ce niveau, l’usinier est l’intermédiaire entre l’agriculteur et les banques commerciales. Il veille à ce que l’agriculteur mène sa campagne sans contraintes majeures. Il doit dans la mesure du possible l’aider à souscrire un contrat d’assurance maladie pour lui et sa famille ; la période hivernale étant particulièrement sensible pour la santé des populations et donc, pour la productivité.

En aval, l’usinier est au centre du développement de liens cohérents et traçables entre la production et le marché. Sa présence est fondamentale car devant aider à structurer la filière par une gestion de proximité. Par ce biais, on saura quel type de riz blanchi et de variété cibler pour répondre à la demande du marché.

Le schéma ci-dessous (Annexe 1) a été élaboré pour l’agriculture intensive, qui elle, est fondée sur une logique d’investissement et de recherche de rentabilité. Cependant, il est aussi recommandé pour la riziculture pluviale particulièrement pour l’instrument 1.

Opérationnalisation du business model MDIAA

Pour son opérationnalisation, le business model utilise cinq instruments :

  • la contractualisation
  • le contrôle de qualité
  • le système d’information décentralisé
  • les financements innovants / structurés
  • un outil de recherche-développement dynamique

Instrument 1 : Contractualisation.

Il permet d’emmener les différents acteurs à travailler dans un cadre respectant les normes essentielles de bonne gouvernance. L’établissement de contrats est fondamental. Il doit favoriser l’accès aux intrants et équipements agricoles, aux crédits de campagne et d’investissements, grâce d’une part, à une mise en relation des acteurs et d’autre part, à leur sécurisation à travers des accords formels. À ce niveau, l’usinier est la structure intermédiaire avec les banques commerciales, car devant porter le crédit.

Pour répondre à la demande croissante de la population africaine à l’horizon 2050, l’Afrique subsaharienne devra tripler sa production agricole entre 2006 et 2050 pour fournir une alimentation adéquate par habitant (Save food, 2013). Cela veut dire qu’agriculteurs de l’agriculture familiale et de l’agro-industrie devront travailler en étroite collaboration à travers des contrats formels pour parvenir à satisfaire les normes rigoureuses de qualité et de sécurité sanitaire des aliments exigées par l’industrie de transformation.

Instrument 2 : Contrôle de qualité.

Le contrôle se fait à tous les niveaux de la filière. Il vise à garantir une bonne qualité des produits et concerne aussi bien la production de semences que de paddy.

Instrument 3 : Système d’information décentralisé.

L’essentiel du travail est mené à toutes les étapes de la filière riz grâce à l’appui d’un système digital décentralisé de collecte et de diffusion d’information installé au niveau des usines et des plateformes des acteurs, des interprofessions et des corporations paysannes. Le système d’information décentralisé est particulièrement requis pour favoriser la commercialisation des produits et sous-produits du riz en délivrant les données sur les volumes existants, leurs qualités et prix ainsi que les localités où ils sont stockés.

Instrument 4 : Financements innovants.

De manière générale, il est du ressort des États d’assurer la mise en place d’instruments financiers innovants en appui à la filière. La filière riz a rarement bénéficié d’actions spécifiques au même titre que les cultures d’exportation. La présente situation se reflète négativement sur ses performances dans son entièreté, et en particulier, sur celles de la production, de la recherche agronomique et de l’encadrement des exploitations agricoles. Si des efforts sont déployés envers la riziculture irriguée, il n’en est pas de même pour la riziculture pluviale qui, bien qu’occupant l’essentiel des exploitations (90 % en Côte d’Ivoire), ne bénéficie pas de facilités de financements (K., Diomandé 1997). Compte tenu de la particularité du riz, qui nécessite des flux financiers importants sur une courte période, son financement doit concerner tous les acteurs.

Le mode de financement doit viser à sécuriser l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, à savoir : l’agriculteur, l’usinier, le banquier d’une banque commerciale et de refinancement, le tiers détenteur et le commerçant grossiste. La banque commerciale, dans ce cas, est responsable du financement de toutes les activités de la filière sous forme de crédits remboursables à court et moyen termes. Elle doit assurer le portage financier des stocks en faisant intervenir un tiers détenteur, qui est responsable en amont de la garde des stocks physiques de paddy achetés par la banque commerciale en contrepartie d’une lettre de tierce détention émise. Elle est également responsable en aval de la garde des stocks physiques de riz blanc issu de l’usine que le tiers détenteur délivre aux grossistes sur présentation d’une main levée reçue de la banque.

L’idéal sera de parvenir à la création d’un fonds de développement avec pour objectif principal de financer les différents segments de la chaîne de valeur du riz avec des fonds d’intrants (semences, engrais, pesticides), des fonds de roulement et des fonds d’investissements (unités de conditionnement, matériels roulants et équipements divers). Le fonds de développement a deux objectifs spécifiques : (i) accroître les disponibilités de crédits en vue de recapitaliser les agriculteurs et (ii) dé-risquer le financement pour le développement de la chaîne de valeur du riz.

Le fonds comprend trois principales lignes de crédit : (i) une ligne de crédit de recapitalisation des agriculteurs ; (ii) une ligne de crédit d’appui à la transformation et (iii) une ligne de crédit d’appui à la commercialisation. Il devra être accompagné par des garanties incluses dans l’assurance multirisques agricole. Néanmoins, un fonds de gestion des risques considérés comme non assurables pourra être mis en place au titre du régime de calamités agricoles.

Ligne de crédit de recapitalisation des agriculteurs

La recapitalisation a pour objectif d’assurer des gains de productivité au niveau des agriculteurs par la modernisation de leurs exploitations et l’intensification des systèmes de production. Elle est fondée sur une logique de création de conditions adéquates d’accès aux intrants (semences, engrais, pesticides) et aux équipements agricoles, et de paiement des prestations de services sur la base de contrats entre agriculteurs et usiniers.

La ligne de crédit de recapitalisation permet : (i) l’accès des agriculteurs aux semences de qualité des variétés améliorées ; (ii) la couverture de certaines charges de fonctionnement des agriculteurs, en particulier : la main d’œuvre, les engrais et les pesticides et (iii) le passage de l’agriculture manuelle (basée sur la force physique avec des houes et des machettes) à l’agriculture mécanisée avec des motoculteurs, des moissonneuses-batteuses, des faucheuses, des batteuses-vanneuses, etc. Elle servira aussi à l’équipement des Centres de machinisme agricole (CMA) spécialisés dans des activités de prestations de services (travail du sol, traitements phytosanitaires, récoltes, activités post-récoltes) et de maintenance (réparations de rizeries et mini-rizeries, de tracteurs, de motoculteurs et de moissonneuses-batteuses). La ligne de crédit d’appui à la transformation a pour objectif de faciliter l’achat par les usiniers de paddy, de sacherie et de petits équipements destinés à améliorer le grade commercial du riz blanchi. Quant à la ligne de crédit d’appui à la commercialisation, elle est allouée aux distributeurs et commerçants. Elle a pour objectif de permettre à l’usinier de travailler à flux tendu, à savoir de manière régulière et maîtrisée.

Instrument 5 : Soutien d’un outil de recherche-développement dynamique.

Le business model nécessite l’accompagnement d’un dispositif de recherche-développement capable d’établir des relations fonctionnelles dynamiques entre l’agriculture familiale et l’agro-industrie. À ce propos, certaines actions doivent être menées. Il s’agit, entre autres, de : (i) la prise en compte des spécificités de l’agriculture familiale par la recherche ; (ii) la diffusion de technologies répondant à la demande ; (iii) l’ouverture de programmes de recherches en mécanisation et transformation orientés vers le développement de l’entreprenariat ; (iv) la redéfinition des objectifs relatifs aux ressources phytogénétiques, à la sélection et à la production de semences ; (v) l’ouverture de laboratoires centraux et (vi) la valorisation des droits de propriété intellectuelle. D’autres sujets non moins importants comme les recherches systèmes de production méritent une attention particulière au vu de la place qu’elles accordent au caractère social de l’exploitation et à la nature des productions, de la force de travail et des moyens mis en œuvre.

Pour être durable, le modèle nécessite qu’un environnement favorable soit créé. Cela passe par :

  • la promotion d’une bonne gouvernance;
  • le développement d’infrastructures socioéconomiques de base ;
  • la prise en compte des spécificités de l’agriculture familiale et de l’agro-industrie ;
  • la préservation des ressources naturelles et la valorisation de la biomasse;
  • la professionnalisation des agriculteurs.

NB : Les piliers I et II sont du ressort des États.

Pilier I : Promotion d’une bonne gouvernance. La promotion d’une bonne gouvernance vise avant tout à créer un cadre administratif et juridique adéquat pour permettre aux groupements / entreprises d’évoluer sans contraintes non règlementaires. Elle intègre en même temps une logique politique, des règles de fonctionnement démocratique de la société et une logique économique, à savoir des critères de gestion basés sur des principes de participation, de responsabilité, d’efficacité et de cohérence. Elle fait la promotion de l’éthique et veille au respect des lois et de l’intégrité des institutions publiques et des entreprises privées.

A ce propos, trois actions principales méritent d’être menées :

  1. La promotion de l’investissement privé par la mise œuvre de règlements relatifs à la création rapide d’entreprises privées, la création d’un climat social apaisé, la réduction des tracasseries administratives et policières, la mise en place de normes de taxation fiscale adaptées (taxes à des taux bonifiés, différenciation des taxes en fonction du type d’investissement, etc).
  2. L’élaboration et l’adoption de plans cadastraux de sécurisation de la propriété foncière à l’échelle des bassins rizicoles.
    La question foncière représente un enjeu aussi bien économique, politique que social. La délivrance de certificats de propriété foncière et leur reconnaissance par les institutions bancaires pourraient être d’une grande contribution pour l’amélioration de la productivité.
  3. L’appui à la structuration de la filière grâce à l’enregistrement des principaux acteurs, l’installation de plateformes d’innovations et la création d’une interprofession à l’échelle nationale. Ces instruments pourraient aider à l’établissement de liens fonctionnels et rentables entre toutes les parties de la filière.

Pilier II : Développement d’infrastructures socioéconomiques de base. Les infrastructures de base sont encore appelées infrastructures de soutien à l’investissement privé et à l’intégration locale et régionale. Elles constituent un préalable à la mise en place de supports de production et de développement de la commercialisation (aménagements de pistes de production pour assurer le désenclavement des villages et l’évacuation des produits agricoles, installations de magasins de stockage, etc).

Les magasins peuvent jouer un rôle d’intégrateur de solutions pour amener les producteurs à travailler en groupes. L’existence de groupes structurés peut aider les agriculteurs à se positionner sur le marché et à négocier des prix assez intéressants de vente de paddy ou d’achat d’engrais et de pesticides. Il est souhaitable que les contrats qui seront élaborés se fassent par le biais des groupements ; ce qui aura pour avantage de réduire l’intervention des intermédiaires tels que les collecteurs. Ils portent un lourd préjudice aux agriculteurs en achetant le paddy à des prix bas (non rémunérateurs) et en altérant la qualité du paddy par des mélanges de variétés.

Pilier III : Prise en compte des spécificités de l’agriculture familiale et de l’agro-industrie. La recherche et la vulgarisation doivent être conduites dans une démarche qui prenne en considération aussi bien les besoins de l’agro-industrie que ceux l’agriculture familiale, à savoir deux objectifs différents mais conciliables : la sécurité alimentaire et la création de valeur ajoutée (Beye et al. 2016).

La recherche de la sécurité alimentaire vise à mettre l’agriculteur au centre du dispositif en l’aidant à atteindre l’autosuffisance alimentaire tout en s’affranchissant au mieux des intrants externes. C’est le domaine des systèmes de production dominés par l’agriculture pluviale avec des exploitations de petite taille de type familial, l’association et la diversification des cultures.

Les techniciens sont ici invités à intégrer les aspects sociologiques et culturels de l’agriculture familiale. Aussi, il importe, en plus de la diffusion de technologies adaptées destinées à répondre à l’évolution des conditions endogènes et exogènes du milieu, d’investir des créneaux divers impliquant l’économie (y compris les notions de rentabilité économique, financière et de gestion des risques), la sociologie (les facteurs socio-culturels d’intégration de la technologie dans la société), l’anthropologie, etc.

Quant à la démarche visant la création de valeur ajoutée, elle passe par une amélioration de la productivité et de la compétitivité. Elle place le secteur privé au centre du dispositif. Il importe à ce propos d’inviter la recherche et la vulgarisation à aller au-delà du stade de la diffusion de technologies agricoles (où l’essentiel des activités tournent autour de la plante) et à embrasser d’autres domaines liés à la création du produit et à sa valorisation, à savoir : la transformation et la technologie du grain, et sa commercialisation.

L’importance de la qualité du produit est habituellement mal cernée dans les programmes de recherche / développement. Cela se comprend aisément car les universités et les centres de formation d’Afrique subsaharienne investissent rarement dans ce domaine. La situation est beaucoup plus délicate pour la transformation qui nécessite de bons laboratoires de technologie du grain pour travailler sérieusement sur la recherche et l’innovation axées sur la transformation des aliments avec le développement de nouveaux procédés de transformation primaire et secondaire. Cela est bien dommage, et il faut le souligner, car dans bien des cas la finalité est le marché.

Pilier IV : Préservation des ressources naturelles et valorisation de la biomasse. L’intensification de l’agriculture a souvent engendré de sérieux bouleversements des écosystèmes aggravés par le fait que les sols de l’Afrique subsaharienne sont pour la plupart fragiles. L’utilisation de méthodes plus respectueuses de l’environnement aura donc un impact direct sur l’agriculture. Les impacts attendus sont multiples mais difficiles à quantifier. Parmi les technologies et les techniques à promouvoir, on peut citer : le fumier (il améliore la structure du sol et permet de mieux valoriser l’engrais chimique), l’engrais vert, le compost, le semis sous couvert végétal, les biopesticides, l’introduction de légumineuses alimentaires (niébé, soja inoculé, pueraria, mucuna, etc) et la pratique de la jachère améliorée.

La valorisation de la biomasse constitue l’une des voies pour assurer une meilleure maîtrise d’exploitation des ressources non renouvelables et de lutte contre le changement climatique. Elle prend de plus en plus d’importance en matière de consommation de carburants, d’énergie électrique, d’engrais, etc. La production d’électricité à travers la gazéification de la balle de riz offre de bonnes perspectives.

Pilier V : Appui à la professionnalisation des agriculteurs. Il vise une promotion de l’initiative privée en milieu rural et une autonomie de gestion des exploitations agricoles. Les agriculteurs doivent pouvoir bénéficier de formations adéquates dans divers domaines concernant par exemple : la comptabilité simplifiée et l’alphabétisation fonctionnelle, l’élaboration de comptes d’exploitation, la transformation et la conservation des produits agricoles et une meilleure organisation de l’exploitation orientée sur l’entreprenariat.

L’éducation de masse des agriculteurs devra à ce niveau jouer un rôle moteur. Elle permet de promouvoir, en dehors des structures traditionnelles d’enseignement et des systèmes éducatifs institutionnels, une éducation visant l’amélioration du système social, le bien-être des populations et la maîtrise des techniques de l’agriculture moderne.

Mise en œuvre du business model MDIAA : Exemple de la Côte d’Ivoire

L’impact attendu de la mise en œuvre du business model est fonction des pays. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, les différentes simulations laissent entrevoir que, pour avoir un impact réel du business model sur la chaîne de valeur riz, il faudra mener le travail sur une durée de sept ans répartie en trois étapes de : deux, trois et deux ans. Mais déjà en cinq ans, la Côte d’Ivoire devra pouvoir produire assez de riz pour d’une part, couvrir totalement ses besoins et d’autre part, commencer à constituer des stocks de sécurité.

Première étape de deux ans. Elle sert à asseoir les fondamentaux d’une agriculture durable basée sur la sécurisation des agriculteurs en les aidant à accéder aux matériels agricoles, et à travailler sur des créneaux porteurs de richesse. Ici, l’établissement de liens contractuels formels avec les usiniers est une nécessité. Il importe pour les pays africains de mettre l’agriculteur dans une situation susceptible de le pousser au progrès. À cet égard, il est indispensable d’assurer sa recapitalisation en l’aidant à accéder à des fonds pouvant lui permettre de conduire convenablement ses travaux agricoles. En plus de ces fonds, un système de prévention des risques naturels devra être mis en place et des mécanismes d’assurance prévus pour permettre à l’agriculteur de mieux faire face à des situations de calamités naturelles.

Deuxième étape de trois ans. Elle vise à consolider les acquis de la première phase et, par ailleurs, à renforcer sensiblement les capacités de production, d’usinage et de commercialisation du riz. Elle devra avoir un impact direct sur la résorption des importations qui devront tendre vers zéro en dernière année.

Troisième étape de deux ans. Elle s’inscrit dans une démarche de sécurisation des approvisionnements des populations en riz blanc grâce à l’installation de stocks de sécurité pour pallier les catastrophes éventuelles. Le programme de Côte d’Ivoire a été bâti en intégrant, à la trame actuelle d’usinage, 30 nouvelles usines de 5 T/h cédées par l’État à des privés. Les nouvelles usines sont capables de traiter 750 000 tonnes de paddy par an ; soit le tiers des besoins nationaux.

Si des efforts sont déployés envers la riziculture irriguée, il n’en est pas de même pour la riziculture pluviale qui bien qu’occupant l’essentiel des exploitations (90% en Côte d’Ivoire), ne bénéficie d’aucune facilité de financement (K., Diomande 1997). Compte tenu de la particularité du riz qui nécessite des flux financiers importants sur une période courte, son financement doit, pour assurer une bonne fluidité des activités, concerner tous les acteurs : l’agriculteur, l’usinier, une banque commerciale, un tiers détenteur, des commerçants grossistes et une banque de refinancement. Dans le cas par exemple de la Côte d’Ivoire, ces flux étaient estimés en 2015 à 1500 milliards FCFA, soit environ le tiers du budget annuel de l’État (ONDR, 2015).

Discussions / Commentaires

Le MDIAA a été développé sur la base d’expériences de terrain sur les cultures industrielles comme le coton et l’arachide et en prenant en compte plusieurs travaux d’évaluation de projets USAID et de la Banque mondiale sur les chaînes de valeur notamment au Ghana, au Liberia, au Mali, au Nigéria, au Rwanda, au Sénégal et en Zimbabwe.

Par expériences de terrain, il faut entendre les travaux menés par les auteurs à travers différentes études sur la gestion des usines (textiles et rizeries) et sur les questions de développement agricole ou de transformation de l’agriculture rurale face à la dépendance croissante des pays africains des importations. Ils ont aussi eu à passer en revue plusieurs documents relatifs à la Révolution verte en Asie et en Amérique Latine, au Plan Marshall et à la Politique agricole commune de l’Union Européenne (PAC).

Il est ressorti de toutes ces études que les conditions de réussite totale de l’agriculture n’ont jamais été réunies. Tantôt les financements alloués au secteur agricole étaient faibles. Ils étaient en deçà de 5 % pour plus de 70 % de la population active (ReSAKSS, 2012). Tantôt, ils n’ont concerné que quelques rubriques (cas par exemple des agriculteurs à qui l’on donne des semences améliorées mais sans engrais). Par ailleurs, les petits exploitants agricoles, bien qu’assurant l’essentiel de la production, sont faiblement associés aux réflexions sur le devenir l’agriculture africaine.

Il mérite de souligner que si la Révolution verte a essentiellement le fruit du secteur public avec l’ouverture de périmètres irrigués, la construction d’infrastructures socio-économiques, l’accès au crédit agricole et la naissance de l’agro-business, dans le cas de l’Afrique, il faudra sûrement compter avec les petits exploitants de l’agriculture pluviale. A ce niveau, le MDIAA prône l’implication des usiniers comme levier de développement. Ils travaillent dans l’environnement immédiat des agriculteurs à qui ils peuvent fournir des intrants agricoles, un appui-conseil ainsi qu’un débouché commercial, si les transactions sont encadrées par une banque de la place. Ils connaissent bien le fonctionnement des communautés villageoises (aspects économiques, sociologiques, culturels et anthropologiques), les opportunités d’affaires et les risques encourus. A cet effet, chaque usinier aura pour mission de veiller à assurer une bonne intégration de la production et du marché avec des objectifs de production bien ciblés.

Des tentatives sont présentement menées en Côte d’Ivoire qui s’est dotée de 30 nouvelles usines capables de traiter 750 000 tonnes de paddy par an ; soit le tiers des besoins nationaux. AfricaRice, l’ONDR et certaines sociétés privées (AMC-FC, ANARIZ-CI et SOFCEREQ pour la bio-méthanisation) ont élaboré un projet basé sur le modèle du MDIAA d’un montant de 65 milliards FCFA (108 millions USD), qui  bien valorisé, devra permettre en cinq années (2016 – 2021) de résorber le déficit de riz et de stopper les importations de riz qui tournent autour de 900 000 tonnes. L’essentiel de ce budget (autour de 90%) est destiné aux acteurs sous forme de revolving fund  payable à la fin de chaque campagne agricole sauf pour les investissements lourds. Les estimations font ressortir en année VIII les progressions suivantes (Annexe 2) :

  • Production additionnelle de paddy (10,427,547 Tonnes) :      +   851%
  • Production additionnelle de riz blanchi (6,256,528 Tonnes) :      +   951%
  • Recettes additionnelles issues des ventes de paddy (157,406,650 KFCFA) : + 1111%
  • Recettes additionnelles issues des ventes de riz blanchi (504,893,550 KFCFA) : + 485%

Déjà, à partir de la quatrième année, les usiniers pourront avoir des recettes additionnelles de plus de 258 milliards FCFA (516 millions USD). Cette donne est intéressante car elle montre que la Côte d’Ivoire devrait pouvoir dès lors économiser l’équivalent des devises étrangères injectées dans l’importation du riz. Cela veut dire conséquemment : plus d’emplois pour les jeunes et les femmes mais également, plus d’impôt pour l’État (Annexe 3).

Le nombre d’emplois liés aux installations de nouvelles rizeries, d’entreprises de services et d’unités de transformation est le suivant :

  • Rizeries : 673 nouveaux emplois permanents + 1225 emplois temporaires
  • Prestataires de services[1]: 100 emplois permanents + 50 emplois temporaires.
  • Femmes transformatrices : 496 emplois permanents + 1550 emplois à temps partiel + 5000 femmes s’adonnant au petit commerce de produits de transformation secondaire (beignets, couscous, gâteaux, macaroni, pains, jus pour revigorer les enfants, etc).

Par ailleurs, quelques 309 600 agriculteurs seront connectés aux institutions financières et bénéficieront de facilités de crédits.

Le MDIAA prône à travers cette démarche inclusive un changement radical de la perception qu’on a de l’agriculture familiale qui doit être vue comme un levier de développement capable d’augmenter sensiblement la production agricole à la seule condition de créer des conditions favorables à son épanouissement et en l’arrimant à la transformation et au marché. Ainsi, dans un souci d’améliorer la commercialisation, un système d’information dénommé « Remugol » (www.remugol.com) a été créé. Il sera installé dans quelques usines du Sénégal et de Côte d’Ivoire pour diffuser à l’attention des distributeurs et commerçants des données sur les volumes, la qualité et les prix des produits et sous-produits ainsi que les localités où ils sont stockés. Remugol a pour mission également de faire la promotion du riz local qui est très apprécié pour sa fraîcheur, sa digestibilité facile et de plus en plus, sa présentation attrayante, sa blancheur, son homogénéité et l’absence d’impuretés. Et tout ceci se fait sur une tablette Android !

Quelles sont les nouveautés apportées par le MDIAA ?

Nouveauté I : Recapitalisation du secteur

Elle consiste à mettre l’agriculteur dans une position de gestionnaire d’entreprise en lui donnant les possibilités d’accéder à des crédits d’intrants (engrais, semences, pesticides) et d’équipements mais aussi, en lui permettant de disposer des fonds nécessaires pour faire face à certaines dépenses récurrentes liées par exemple à la main d’œuvre et aux prestations de services. Des actions sociales telles que l’assurance maladie et l’assurance contre des catastrophes naturelles seront nécessaires pour sécuriser davantage le producteur.

La recapitalisation aura aussi pour rôle de lutter contre le phénomène de l’exode rural en offrant aux jeunes des possibilités de gagner dignement leurs vies grâce à l’agriculture. Elle permet de replacer l’agriculture au centre des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté.

Nouveauté II : Meilleure prise en compte des spécificités locales

Elle consiste à prendre en compte les spécificités de l’agriculture familiale. Elle concilie sécurité alimentaire et valeur ajoutée en mettant en synergie l’agriculture pluviale et l’agro-industrie. Elle ouvre des perspectives intéressantes de génération d’emplois pour les jeunes et les femmes, de modernisation de l’agriculture familiale avec la formation au métier d’agriculteur et d’industriel, l’introduction de la petite mécanisation, la stabilisation et la professionnalisation des agriculteurs. Cette professionnalisation sera une étape importante par exemple pour une bonne organisation des mouvements des productions de paddy vers les usines et de riz blanchi vers les marchés.

Nouveauté III : Gestion de proximité de l’information

Il s’agit de la gestion de l’information sur les disponibilités de riz blanchi par usine et sa diffusion auprès des distributeurs.

Nouveauté IV : Intervention d’un tiers détenteur

Elle est destinée à rendre plus fluide le fonctionnement de la filière en évitant une accumulation de récoltes de paddy ou de stocks de riz blanchi sur une longue période.

Conclusion

Le MDIAA devra permettre à l’Afrique subsaharienne de mettre en place les fondamentaux d’un développement durable et subséquemment, de couvrir ses besoins en riz en multipliant par deux ou trois sa production actuelle ; ce qui offre des possibilités de résorption du déficit en riz et de création de stocks de sécurité sur une période de moins de 10 ans.

Aussi, le Modèle de développement intégré des affaires agricoles est plus qu’un simple dispositif technique. Il représente une politique de développement social et un vecteur de croissance économique.

 

 

 

Références bibliographiques

  1. Beye, A. and A, Diallo, 2016. Agriculture familiale et certification sociale des semences  en Afrique subsaharienne. 120 pp. Under Editing.
  2. CEDEAO, 2004. « Cadre de politique agricole pour l’Afrique de l’Ouest – ECOWAP – Document de référence pour les consultations nationales; diagnostic, enjeux, questions clés et scénarios ; CILSS/ CEDEAO ; 170p.
  3. Diomande Kanvaly, 2007. « Dévaluation et autosuffisance alimentaire : cas de la filière riz en Côte d’Ivoire ». Africa spectrum. PP 49- 67.
  4. FAO et Banque Mondiale, 2001. Systèmes de production agricole et pauvreté : Améliorer les moyens d’existence des agriculteurs dans un monde en changement.
  5. Louis-Marie Kakdeu, 2015. Afrik.com
  6. L’appui de la Banque mondiale à l’agriculture en Afrique subsaharienne : examen du Groupe d’évaluation indépendant (GEI), 2007.
  7. Naoufel Darif, 2014. La Vie éco.
  8. Rapport circonstancié de suivi et d’évaluation pour le Programme intégré pour le développement de l’agriculture en Afrique, 2012. Systèmes régionaux d’analyse stratégique et de gestion des connaissances (ReSAKSS) et Institut international de recherche sur les politiques alimentaires.
  9. Roger Blein et Bio Goura Soulé, 2014. Marchés céréaliers ouest-africains : Vers une dépendance croissante aux importations ou une souveraineté alimentaire régionale ? Le Déméter
  10. SNDR révisée, 2012. Office national pour le développement de la riziculture.
  11. UEMOA, 1997. Poids du secteur agricole (%) dans l’économie des pays de l’UEMOA.
  12. USAID Senegal rice study Microreport #160, 2009. In Global food security response. 35 p.
  13. http://www.fao.org/docrep/004/y3557f/y3557f08.htm

 

 [1] Entreprises spécialisés dans des activités de prestations de services (travail du sol, traitements phytosanitaires, récoltes, battages, vannage) et de maintenance des équipements (réparations de rizeries et mini-rizeries, de tracteurs, de motoculteurs, de moissonneuses-batteuses, etc).

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